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Proust à Bénerville


 

La présence de Marcel Proust à Bénerville, petite commune côtière du Calvados située entre Deauville et Cabourg, est connue avec certitude à partir de l’année 1907.
Il y est peut-être venu auparavant en excursion, lors de ses séjours d’enfant et de jeune homme en Normandie, mais nous n’avons pas trouvé pour l’instant de documents en attestant.

1907, c’est la Belle Epoque et l’apogée de la Côte Fleurie.
Bénerville, qui n’est pas encore "sur mer" mais "Bénerville par Blonville" comme en témoignent les courriers échangés entre l’écrivain et ses amis, est alors une commune d’environ deux cent habitants, établie sur les pentes du mont Canisy, dotée d’une église du 12°siècle, d’une auberge en bas de la côte sur la route de Villers et de quelques belles villas.


Plusieurs amis de Marcel Proust y résident pendant la saison d’été.
Ces amis qui attirent Marcel Proust à Bénerville ne sont pas des amis d’enfance, il les a rencontrés en 1902-1903 ; ce sont la comédienne Louisa de Mornand et le duc Armand de Guiche qui appartiennent, l’une au monde du spectacle et l’autre à l’aristocratie du faubourg Saint-Germain.


Louisa est une jeune comédienne rencontrée à Paris en 1902 avec laquelle Marcel Proust se lie d’une affection qui n’est pas dépourvue de sensualité ; elle en témoigne dans ses Mémoires : "Ce fut entre nous une amitié amoureuse, où il n’y avait rien d’un flirt banal ni d’une liaison exclusive, mais de la part de Proust une vive passion nuancée d’affection et de désir, et de la mienne, un attachement qui était plus que de la camaraderie et qui touchait vraiment mon cœur."
Quand au duc Armand de Guiche, qui possède à Bénerville la villa Montrêve, Marcel Proust l’a connu dans sa période dite des "jeunes ducs".
Armand de Guiche est le fils de Marguerite de Rothschild épousée en secondes noces par le duc de Gramont ; il est, du fait de ce remariage le frère par alliance d’Elisabeth de Gramont qui deviendra marquise puis duchesse de Clermont –Tonnerre et à laquelle Marcel Proust voue une tendre amitié.
Le duc de Guiche épouse Elaine Greffulhe, dont la famille est un modèle des Guermantes dans "la Recherche du Temps perdu".

Marcel Proust revient sur la côte normande en août 1907, après plusieurs années d’interruption, et il choisit Cabourg comme lieu de villégiature. Grâce à la location d’une voiture, il se déplace facilement, sort tous les jours et écrit à ses amis pour leur faire part du plaisir que lui donnent ces excursions. Il peut, dans une même journée, aller visiter ses amis de Bénerville, Robert Gangnat et Louisa de Mornand au Chalet Russe près de la plage de la Garenne, ainsi que les Guiche à la villa Montrêve.
Les années suivantes, lorsque sa santé le lui permet et qu’il n’écrit pas, il poursuit ses visites ; il voit ses amis de Bénerville mais aussi Réjane, Vuillard, Helleu, Montesquiou, les Clermont-Tonnerre, la comtesse Berthier, Gaston Calmette le directeur du Figaro, les Sert et bien d’autres.
Il a probablement commencé l’écriture de "la Recherche du Temps perdu" en 1905 ou 1906, dans les mois qui suivent la mort de sa mère.

C’est en 1908, alors qu’il se rend chez Louisa de Mornand et Robert Gangnat au Chalet Russe qu’il rencontre devant la villa son futur éditeur, un jeune homme de dix ans de moins que lui et cousin de Robert, Gaston Gallimard.
Sa mère possède une résidence d’été à Bénerville, le Manoir de Bénerville ou villa Lucie. Il est le fils de Paul Gallimard, architecte, grand amateur d’art, propriétaire du théâtre des Variétés.
Cette rencontre a été restituée par l’éditeur dans un recueil d’hommages que la Nouvelle Revue Française fait paraitre en janvier 1923 deux mois après la mort de Marcel Proust. Il y décrit également le diner que Proust donne à ses amis de Bénerville dans le hall du Grand Hôtel de Cabourg.
A partir de 1908 la santé déclinante de l’écrivain, sa crainte de n’avoir pas le temps d’achever son œuvre l’enferment chez lui. En septembre 1909 il écrit à Louisa de Mornant : "je suis sur le point de me cloitrer pour un long travail entrepris".
Dès lors, il se consacre à l’écriture de son roman.


Marcel Proust se rend pour la dernière fois en Normandie l’année 1914.
Il quitte Paris le 4 septembre, poussé par la guerre qui menace la capitale et il s’installe au Grand Hôtel de Cabourg. Le voyage dure 22 heures au lieu de 5heures et demi, dans des conditions difficiles. Certains de ses amis sont là ; la comtesse Greffulhe, les Clermont Tonnerre à la villa Montrêve des Guiche à Bénerville. Robert de Montesquiou dont le Palais Rose à Trouville a été réquisitionné se réfugie lui aussi à Bénerville et on le voit montant péniblement le sentier qui mène à la villa Montrêve, transportant une énorme valise. Les visites se heurtent à la fatigue de l’écrivain qui refuse parfois de recevoir ses amis.
Marcel Proust rentre à Paris le 12 octobre 1914.
Pendant les huit années suivantes, sentant ses forces le quitter, luttant contre l’étouffement, il travaille la nuit, vit pratiquement couché.
Il meurt à Paris le 18 novembre 1922.

Après leur rencontre en 1908 au Chalet Russe de Bénerville, les relations de l’écrivain et de son futur éditeur Gaston Gallimard furent mouvementées.
Gaston Gallimard devient gérant en 1910 de la prestigieuse Nouvelle Revue Française qui sera quelques années plus tard associée à la maison d’édition portant son nom.
Ce n’est qu’en 1912 que Marcel Proust reprend contact avec Gaston Gallimard pour proposer le premier tome de son roman à la NRF : "Du côté de chez Swann". Le directoire de la NRF refuse le manuscrit que l’écrivain arrive à faire éditer à compte d’auteur chez Bernard Grasset en 1913. Après de nombreuses péripéties et le revirement de la NRF, un contrat d’exclusivité est signé avec Gallimard en 1916 et en 1918 parait le deuxième tome de la Recherche, "A l’ombre des jeunes filles en fleurs" dont l’impression est complètement terminée le 30 novembre 1918.Des rebondissements, des suspens et des complications entourent la publication de l’œuvre de Marcel Proust.

Malgré la réclusion dans laquelle vit l’écrivain les dernières années de son existence, le duc de Guiche et Louisa de Mornant restent des amis fidèles. Bénerville est présente dans les pensées de Marcel Proust  comme en témoigne la lettre adressée moins de deux mois avant sa  mort à Gaston Gallimard.
C’est en mois de Septembre 1922,: "J’ai reçu de Bénerville" écrit-il "car vous n’habitez pas seul Bénerville, bien qu’y possédant le plus beau château, une lettre de Guiche relativement aux articles de Sodome et Gomorrhe. Je crois que vous la lirez avec plaisir. Elle prouve qu’un homme du monde intelligent a souvent plus de jugement que de savants critiques".

La Normandie, l'histoire de ses villes et de ses seigneurs, ses monuments et ses paysages, les rencontres que Marcel Proust y fit peuplent les pages de "la Recherche du Temps perdu". "A l’ombre des jeunes filles en fleurs", "Sodome et Gomorrhe", "la Prisonnière" ou "Albertine disparue" nous présentent des fragments de la villa Montrêve ou du petit train qui relie Cabourg à Trouville ; les belles collines où le narrateur se promène en voiture sont les sœurs du Mont Canisy et de la butte Fréville d’où la vue s’étend si loin. Louisa de Mornant ou le comte de Guiche vivent sous les traits d’Albertine, de Rachel et de Saint-Loup. Et Bénerville résonne dans les noms de Beneville et surtout de Berneville où Albertine est à la fois proche et inaccessible.

Quant à la lumière et les paysages exceptionnels des cinquante kilomètres de la Côte Fleurie, ils continuent d’exercer leur pouvoir par l’écriture de Marcel Proust.

Clarisse FONDACCI
mai 2014

 

Illustrations :

- L'église de Bénerville, Charles Mozin
- Louisa de Mornand et le duc de Guiche
- les villas de Bénerville, cartes postales, collection de J.C. Bontron
- portrait de Marcel Proust en 1892 par Jacques Emile Blanche, Musée d'Orsay, Paris

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